
Indépendants en arrêt maladie : vers un risque de recul social ?
Depuis plusieurs années, le gouvernement cherche à aligner progressivement les régimes sociaux des salariés et des indépendants.
Cette volonté s’est traduite par la suppression du RSI en 2018. Une période transitoire de deux ans a suivi, jusqu’en 2020, durant laquelle les indépendants ont rejoint le régime général de l’assurance maladie.
L’unification de la protection sociale par l’intégration au régime général, tout comme l’alignement sur certaines prestations (comme le congé maternité), ont pu sembler être des avancées. Pourtant, le projet de la prochaine loi de finances laisse craindre une véritable reculade pour la protection sociale des indépendants.
En bref : l'inclusion des indépendants dans le délai de carence menace leur santé
Le projet de loi prévoit un délai de carence pour les salariés, mais reste silencieux sur le sort des indépendants.
Ce flou fait peser une menace réelle : si la mesure s’étend à eux, elle risque d’aggraver une situation déjà fragile.
Sans maintien de revenu, avec des indemnités faibles et peu de prévoyance, un simple arrêt maladie pourrait devenir un point de bascule pour leur santé financière — et physique.
Loi de finances : un délai de carence pour les salariés, et les indépendants ?
Le gouvernement prévoit, dans le projet de loi de finances en préparation, d’imposer un délai de carence de 7 jours pour les salariés en arrêt maladie, pris en charge par les employeurs. Il présente cette mesure dans une logique de redressement budgétaire.
Mais rien ne précise la situation des travailleurs indépendants. Pour qui connaît les dynamiques réglementaires, ce silence n’a rien de rassurant.
Très souvent, une mesure ciblée s’étend, sans concertation, à d’autres catégories.

Quelle est la situation actuelle des indépendants en matière d’arrêt maladie ?
Contrairement aux salariés, les travailleurs indépendants ne bénéficient pas d’un maintien de revenu pendant leur arrêt de travail. Les indemnités journalières versées par la Sécurité sociale restent faibles : entre 20 et 56 € par jour, selon les revenus déclarés. Encore faut-il dépasser le seuil minimal de revenu pour y avoir droit.
Pour compenser cette perte, les indépendants souscrivent un contrat de prévoyance complémentaire.
Ce point reste trop peu évoqué dans les débats publics.
Combien d’indépendants sont couverts en cas d’arrêt prolongé ?
Les données varient selon les sources, mais toutes convergent : moins de la moitié des indépendants sont couverts en prévoyance.
En 2021, 48 % déclaraient avoir une prévoyance (UNMI) ;
En 2023, 41 % seulement étaient couverts selon une étude CSA ;
Une autre enquête menée par Lilycare/OpinionWay évoque 36 % des TNS couverts, et 29 % seulement des auto-entrepreneurs.
Le niveau de couverture baisse, alors que les risques, eux, augmentent. Selon l’étude CSA, 70 % des indépendants se sentent mal protégés par leur régime obligatoire. Le taux de couverture varie fortement selon les revenus :
73 % des TNS gagnant plus de 60 000 € par an sont équipés ;
contre 34 % de ceux gagnant moins de 40 000 €.

À quoi sert une prévoyance complémentaire ?
Une prévoyance complémentaire permet de maintenir un revenu en cas d’arrêt de travail, d’invalidité ou de décès. Elle peut prévoir :
le versement d’indemnités journalières en complément de la Sécurité sociale ;
des rentes pour invalidité ou incapacité permanente ;
un capital ou une rente pour les proches en cas de décès.
C’est un filet de sécurité indispensable lorsque l’on ne bénéficie pas de maintien de salaire.

Des dispositifs de prévention inaccessibles ou méconnus
Les dispositifs de prévention restent très peu utilisés. Le rapport de l’INRS (2025) indique que seulement 3 % des indépendants utilisent les services de prévention santé au travail interentreprises (SPSTI), bien qu’ils y aient droit. Ce chiffre souligne que ces dispositifs restent méconnus, peu accessibles ou mal adaptés.
Les arrêts maladie restent rares. D’après l’INRS (2025), les indépendants y ont recours 2 à 3 fois moins que les salariés. Lorsqu’ils s’arrêtent, c’est souvent pour des affections longues et lourdes, lorsqu’il n’est plus possible de faire autrement.
Des arrêts rares mais lourds de conséquences
Pourquoi si peu d’arrêts ?
un arrêt signifie zéro chiffre d’affaires ;
personne ne peut prendre le relais ;
ils craignent de perdre leurs clients, leurs contrats, leur activité tout court ;
les démarches sont complexes ou décourageantes ;
beaucoup n’ont ni prévoyance, ni solution d’adaptation.

La santé au travail des indépendants : un sujet tabou
Et il y a le tabou de la santé au travail chez les indépendants. Le Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI) a déjà alerté sur les risques : stress, isolement, pathologies chroniques. Pourtant, aucune politique de santé cohérente ne cible ce public.
L’étude de l’INRS, menée par Émilie Aunis, montre que les indépendants sont plus exposés aux pénibilités physiques et au stress. Ils travaillent plus longtemps. Ils travaillent plus vite. Ils travaillent avec moins de soutien. Leur réticence à s’arrêter tient aussi au symbole : ne pas s’arrêter devient un réflexe de survie, au détriment de leur santé.
Selon le CPSTI, en 2022, seulement 18 % des indépendants ont perçu des indemnités journalières. Le montant total versé s’élève à 1,2 milliard d’euros. Le revenu médian annuel des microentrepreneurs est de 6 040 €, contre 21 860 € pour les autres indépendants. Cette précarité explique largement le faible taux de souscription à la prévoyance. Le rapport y voit un symptôme de non-recours aux droits, pas un signe de bonne santé.
Les indépendants, oubliés à maintes reprises par les politiques publiques
En 2023, un décret publié le 17 août a réduit la durée minimale d’affiliation requise pour bénéficier du congé maternité ou paternité.
Le délai est passé de 10 à 6 mois.
Ce décret répondait à une mise en demeure de la Commission européenne.
Celle-ci reprochait à la France de mal transposer la directive 2019/1158 sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Mon alerte oubliée en 2023 : quand les indépendants disparaissent des textes
Mais, dans sa première version, le texte ne mentionnait pas les travailleurs indépendants. Et personne ne semblait s’en émouvoir.
En tant qu’administratrice à la CNAF, j’ai alerté sur cette omission avec ma collègue Nataliya Akatova. Nous l’avons fait lors d’une réunion du Conseil d’administration. Grâce à cette alerte, la Présidente de la CNAF a relayé notre signalement jusqu’à la Direction de la sécurité sociale. Le texte a ensuite été corrigé.
Cette correction n’aurait jamais eu lieu sans notre intervention directe. Cette anecdote illustre bien à quel point les indépendants restent absents des réflexes institutionnels, même lorsque les textes visent à améliorer leurs droits.
Ce qui n’est pas dit pour les indépendants est souvent oublié.
Une clarification nécessaire sur le futur délai de carence des indépendants
Aujourd’hui, je m’interroge. Et je m’inquiète.
Par le passé, des engagements en faveur des indépendants sont restés lettre morte, comme pour le congé maternité. La loi prévoyait une mesure, mais elle n’a jamais été appliquée. Et personne ne s’en est soucié.
L’exemple du congé maternité : un décret jamais paru
Le gel des périodes non travaillées pendant un congé maternité : un travailleur indépendant reste pénalisé dans le calcul de ses droits s’il enchaîne un arrêt maladie puis un congé maternité.
Beaucoup attendaient une mesure correctrice, en l’occurrence le gel de ces périodes. La dissolution de l’Assemblée nationale, en juin 2024, a bloqué la publication du décret porté par Sarah El Haïry. Depuis, plus rien. Personne n’a repris le dossier.
Les périodes d’inactivité ne sont toujours pas neutralisées. Ce précédent nourrit ma méfiance.

Quelles solutions pour les indépendants si le délai de carence est allongé ?
Si le délai de carence de l’assurance maladie passe à 7 jours pour les indépendants, les indemnités journalières seront versées encore plus tard. Dans ce cas, la seule solution réaliste serait d’ajuster son contrat de prévoyance complémentaire.
Un fonctionnement basé sur le délai de carence
Un contrat de prévoyance prévoit le versement d’indemnités journalières en cas d’arrêt de travail. Ce versement commence après un délai de carence, défini lors de la souscription. En général, ce délai est de 15, 30, 60 ou 90 jours pour les arrêts maladie. Plus le délai est long, plus la cotisation mensuelle est basse.
Une stratégie qui ne tiendra plus si les IJ sont versées plus tard
Aujourd’hui, beaucoup d’indépendants choisissent une carence longue (souvent 90 jours) pour payer moins. Ce choix repose sur l’idée qu’ils percevront les indemnités journalières de la Sécurité sociale dès le 4e jour. Leur prévoyance ne sert alors qu’en cas d’arrêt prolongé.
Mais si la Sécurité sociale reporte son versement au 8e jour, ce raisonnement ne tient plus. Ceux qui souhaitent un maintien de revenu dès les premiers jours devront réduire la carence de leur contrat prévoyance. Certains devront la ramener à 3 jours, voire la supprimer.
Une hausse de cotisation inévitable
Ce changement entraîne une hausse importante de cotisation, surtout pour couvrir les arrêts courts. Le tarif dépend aussi du métier, de l’âge, du revenu de référence et du montant choisi pour l’indemnisation.
Les plus fragiles laissés de côté
Les indépendants les plus fragiles ont souvent souscrit des contrats à 30 ou 40 € par mois. Ces contrats incluent des délais longs, faute de budget suffisant. Ils se retrouveraient alors face à un dilemme : payer davantage ou rester sans revenus pendant une semaine entière.
Revoir son contrat de prévoyance deviendrait donc indispensable, mais tout le monde ne pourra pas le faire.


Le projet de loi de finances sur la durée de carence: une inquiétude justifiée
Le projet de loi de finances prévoit un délai de carence allongé. Il ne cite que les salariés. Les indépendants ne sont pas mentionnés. Et ce silence m’alerte. Trop souvent, les textes s’appliquent à eux sans débat, par simple glissement.
Quand une réforme ne les cite pas, le risque d’embarquement est réel.
C’est pourquoi une clarification immédiate s’impose. Pas un communiqué vague. Pas une note en creux. Une réponse explicite :
Les travailleurs indépendants seront-ils, oui ou non, concernés par l’allongement du délai de carence ? Et si non : pourquoi ne pas le dire clairement ?
Ce serait la moindre des choses pour celles et ceux qui créent de l’activité, seuls, sans filet.
J’espère sincèrement que la Direction de la Sécurité sociale et le CPSTI se saisiront du sujet avant qu’il ne soit trop tard. Trop souvent, les alertes ne sont entendues qu’une fois la loi promulguée.
FAQ sur l'impact du délais de carence si il touche les indépendants
Le délai de carence pour arrêt maladie va-t-il concerner aussi les indépendants ?
À ce jour, le projet de loi ne précise rien pour les indépendants. Mais l’absence de mention peut laisser craindre une extension future de la mesure.
Les indépendants ont-ils droit à des indemnités journalières ?
Oui, sous conditions de revenu. Les montants restent faibles : entre 20 et 56 € par jour, selon les revenus déclarés à l’Urssaf.
Une prévoyance est-elle obligatoire pour un travailleur indépendant ?
Non, mais elle est fortement recommandée. Sans prévoyance, un arrêt maladie entraîne une perte sèche de revenus.
Que couvre une prévoyance complémentaire ?
Elle peut verser des indemnités journalières, des rentes d’invalidité, voire un capital en cas de décès. Chaque contrat prévoit des garanties différentes.
Pourquoi les indépendants s’arrêtent-ils moins que les salariés ?
Un arrêt signifie souvent l’arrêt complet de l’activité. Pas de chiffre d’affaires, pas de remplaçant, démarches complexes… Les freins sont nombreux.
Peut-on accéder à un service de prévention santé quand on est indépendant ?
Oui. Les indépendants peuvent adhérer à un SPSTI (service de prévention santé au travail interentreprises), mais peu en sont informés ou accompagnés.
On en parle?
Si ce sujet vous interpelle, partagez le auprès de vos députés ou toute personne qui pourrait veiller au maintien des droits des indépendants en terme de protection sociale 😊
Frédérique David-Créquer
Sources :
UNMI, CSA Research pour le Groupe VYV, Lilycare / OpinionWay, INRS (Émilie Aunis, revue RST et rapport TC182), Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI), décret du 17 août 2023 relatif au congé maternité/paternité.